Non, Twitter ne sert pas seulement à échanger des babillages entre amis. Contre toute attente, malgré l'existence de réseaux sociaux expressément dédiés aux professionnels comme l'américain LinkedIn et le français Viadeo, même le monde de la finance semble aussi être tombé sous l'emprise de Twitter. Mais à vrai dire, il ne faut guère s'étonner de cette rencontre entre un média très influent et privilégiant l'instantanéité et les marchés financiers, où les milliards changent de mains en quelques nanosecondes.
Tout de même, la communauté financière a été légitimement surprise lorsque l'investisseur le plus riche de la planète a ouvert son compte sur Twitter le 2 mai dernier en annonçant dans son premier tweet : "Warren is in the house" (Warren est dans la place). Warren Buffett s'était en effet distingué au moment de la bulle internet en refusant d'investir dans un secteur auquel il disait ne rien comprendre. On ne peut pas dire que, depuis, le célèbre oracle d'Omaha utilise à outrance le réseau pour donner des nouvelles de ses investissements. Il n'a produit en tout et pour tout que quatre tweets, dont un invitant à lire son essai expliquant la place prépodérante des femmes dans la prospérité de l'Amérique ! Mais son compte Twitter lui a apporté plus de 680.000 "followers" alors que lui n'est abonné à aucun autre compte. Et s'il n'y avait là qu'un superbe exercice de communication visant à nous démontrer cette vérité : sur Twitter comme pour ses investissements, Warren Buffett ne suit personne, mais tout le monde le suit.
D'autres investisseurs de premier plan font un usage plus soutenu de Twitter, à commencer par Carl Icahn, dont la fortune est évaluée par le magazine Forbes à 20,3 milliards de dollars, ce qui le classe parmi les 30 personnalités les plus riches de la planète. Icahn est ce qu'on appelle un investisseur activiste : il prend des positions dans des sociétés qu'il estime de qualité mais où il pense que le management ne fait pas parfaitement son job, puis il indique à la direction ce qu'elle devrait faire pour améliorer la valorisation de l'action. Evidemment, pour un tel investisseur, essayer de convaincre les autres actionnaires du bien-fondé de ses positions afin de mettre la pression sur la société fait partie du jeu. Et Twitter est un porte-voix idéal, puisque chacun de ses tweets peut toucher ses quelque 107.000 abonnés.
Le 7 octobre, Carl Icahn a ainsi annoncé sur le réseau avoir pris une position de 61 millions d'actions dans la le producteur d'hydrocarbures Talisman Energy. Le jour même, le cours grimpe de 4,6%, dans un volume d'échanges dix fois supérieur à la moyenne. Mais ce sont surtout deux messages postés le 13 août par Carl Icahn qui ont fait du bruit : l'un annonçait qu'il avait pris une "large" position dans Apple, considérant la société comme "extrêmement sous-évaluée", l'autre qu'il avait indiqué à son patron, Tim Cook, qu'il serait bienséant que le fabricant de l'iPhone augmente ses rachats d'actions propres. Conséquence immédiate : 4,75% de hausse sur le titre, dans un marché là aussi très nourri. Et le 1er octobre, c'est aussi par Twitter que l'investisseur choisit d'annoncer son "dîner cordial avec Tim" de la veille, rappelant qu'il lui a demandé un rachat d'actions de 150 milliards de dollars. L'impact de Twitter sur un cours de bourse, on le voit, peut être important. Et certains n'hésitent pas à se livrer à de véritables manipulations, en diffusant sans vergogne de fausses informations. En août 2012, c'est le décès de Bachar el-Assad qui avait ainsi été annoncé, suscitant une hausse du cours du pétrole.
D'autres sont allés un cran plus loin en piratant le compte d'Associated Press, une fameuse agence de presse américaine. Le faux tweet lancé à la face du monde le 23 avril 2013 n'annonçait rien de moins qu'une double explosion à la Maison-Blanche, ayant blessé le président Obama lui-même. Un mensonge gonflé qui fit chuter le Dow Jones de manière immédiate mais ponctuelle.
Pour ce type de manoeuvres frauduleuses, les cibles les plus faciles restent les entreprises de taille réduite, dont le marché est peu liquide et peut être déséquilibré plus facilement par une information. C'est d'ailleurs via un compte suivi par seulement 11 personnes, mais semblant provenir d'une société d'investissement , qu'a été diffusé le 29 janvier 2013 un tweet annonçant que la société de technologie audio Audience faisait l'objet d'une enquête pour fraude de la part du Ministère de la justice américain.
Le cours s'effondra d'environ 25% en séance avant de finir la journée en hausse, le démenti étant venu rapidement. De quoi faire une belle et rapide plus-value pour les petits malins entrés au bon moment. Le lendemain, c'était au tour de la société biopharmaceutique Sarepta de plonger, tout aussi brièvement, après un tweet tout aussi mensonger.Depuis, les investisseurs regardent sans doute Twitter avec un peu plus de méfiance, mais de nouvelles opérations de déstabilisation de cet acabit ne sont pas à exclure. L'instantanéité, c'est bien, la réflexion, c'est mieux.
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